Des cartes disposées sur une table

Pour un buissonnement des dispositifs pédagogiques inspirés de la Fresque du Climat

Suite à la parution de la publication « Vers une éducation au climat robuste et émancipatrice : regards sur la Fresque du climat » de Emeline De Bouver et Coline Ruwet, quelques considérations sur des dispositifs pédagogiques émancipateurs.

A la lecture de l’étude d’Ecotopie sur la Fresque du climat, plusieurs points confirment des prises de position déjà établies ici, mais aussi suscitent de nouvelles interrogations et mises en perspective. Je résumerai en sept points les grands enjeux de cette publication, en tout cas entrant en résonance avec les réflexions gravitant autour de la constellation des toiles :

  1. une pseudo neutralité : « un dispositif pédagogique qui s’affirme neutre participe de la dépolitisation des enjeux climatiques » p43
  2. un problème d’accessibilité : « Le timing de l’atelier de la Fresque du climat et le blocage institutionnel de son dispositif d’animation permettent difficilement la prise en compte des participant·es dans leur diversité et rendent difficile le travail des animateurs et des animatrices qui est notamment de s’adapter aux besoins et aux spécificités de leur public » p41
  3. une narration orientée : le format cadenassé dirige vers une unique bonne réponse
  4. une émotion des participants pas suffisamment prise en compte tout au long de l’atelier
  5. une vision trop centrée sur les données scientifiques : « Un changement de paradigme passe par la transformation en profondeur impliquant les dimensions subjectives (émotionnelles, corporelles, cognitives, existentielles) et culturelles (normes sociales, symboles, représentations) » p42
  6. un dispositif verrouillé trop contraignant : « La rédaction de cet article et la rencontre des fresqueurs et des fresqueuses nous ont convaincues qu’il est indispensable d’ouvrir le verrou déposé par l’association « La Fresque du climat » sur le dispositif. Pour s’inscrire dans une pédagogie transformative, la Fresque du climat doit permettre aux fresqueurs et fresqueuses de jouer leur rôle d’animateurs et animatrices, c’est-à-dire de s’adapter, d’évaluer où en est leur public, d’ajouter des moments de questionnements, etc.  » p43
  7. un outil à positionner dans une progression pédagogique : nécessité « de se placer dans une temporalité non seulement plus longue, mais également un rapport à l’apprentissage circulaire ou spiralaire plutôt que linéaire. Dans cette perspective, les différentes informations mentionnées dans la Fresque du climat sont remobilisées, contextualisées, croisées et approfondies à de multiples reprises » p64

Comment répondre à ces critiques à propos de la Fresque du Climat ?

Pour commencer, je précise que j’ai mis en exergue ces problématiques parce que je les partage. Hormis peut-être la moindre prise en compte des émotions des participants tout a long de l’atelier, qui relève à mon avis de la qualité de l’animateur, plus que de la Fresque du climat. J’aborderai donc point à point, les six critiques qui me semblent pertinentes.

Une pseudo neutralité de la Fresque du climat

C’est le point qui m’a hérissé le poil quand j’ai découvert la fresque. La carte « Activité humaine », comme si tous les humains partageaient la même responsabilité dans le réchauffement climatique. Intenable éthiquement. On comprend pourquoi la Fresque du climat plaît au CAC 40. Un tel lissage des conflictualités rend l’outil compatible avec toutes les sphères économiques. Potentiel rémunérateur peut-être, mais vrai risque totalitaire sous-jacent. Les scientifiques le disent, la contestation n’est pas possible. Exit la société complexe, le discours devient simpliste. Insupportable.

La parade ? Assumer d’emblée que les informations présentées, bien que vérifiées et sourcées, ont été volontairement sélectionnées pour servir une certaine vision du monde. C’est le choix opéré par le collectif de La fresque des Low-techs, auquel j’appartiens, quand nous écrivons que la fresque « ne propose pas un contenu prétendument apolitique ».

Une fresque inadaptable au public et inappropriable par l’animateur

Les quatre autres points que sont la non prise en compte des participants, la narration orientée, la vision trop centrée sur les données scientifiques et la temporalité restreinte demeurent immuables à n’importe quel dispositif puisqu’ils découlent d’un choix effectué par son auteur et de contraintes imposées par le contexte de création de l’outil. S’adresser à un certain public, des ingénieurs, sous une certain format, un atelier de trois heures déroulant l’origine et les conséquences géo physiques des émissions de gaz à effet de serre, répond à un enjeu spécifique. Ni plus ni moins qu’un cours sous forme de présentation PowerPoint, destiné à des élèves du supérieur, imprimé de façon à ce que les apprenant reconstituent les liens de causalité entre les émissions de gaz à effet de serre et les conséquences engendrant le réchauffement climatique. Est-ce que le procédé est génial ? Oui. Est-ce qu’il convient tel quel à tous les publics ? Bien sûr que non !

La solution ? Libérer les fresques afin de créer un buissonnement!

Voilà le point central de ce billet, abordé page 44 de l’étude sous le chapitre « 4.1 Remettre l’humain au centre de dispositifs adaptables » : les animateurs doivent être en capacité de modifier le dispositif pédagogique qu’ils utilisent afin de l’adapter à leur public, aux contraintes spécifiques de l’animation (temps imparti, installations techniques …) et à leur personnalité et compétence propres. En un mot, s’approprier la fresque. J’ai déjà appelé à libérer les fresques, et je réitère cet appel.

La conséquence prévisible ? Un buissonnement de cartes, de combinaisons, de variations personnelles, de variantes gérées par des collectifs distincts, de bifurcations pour aboutir à de nouveaux outils… bref un fourmillement libérant la créativité au service d’une mission recentrée : sensibiliser le plus efficacement possible tous les publics.