J’enseigne la Culture Numérique pour des étudiants de première année post bac dans plusieurs filières non scientifiques. Désireux de les tester sur leur compréhension du fonctionnement et des enjeux de l’Intelligence Artificielle Générative, j’ai remixé plusieurs supports de cours publiés récemment en Creative Commons sur le web. Ces fichiers portant sur un sujet brûlant et en perpétuelle évolution représentent une aide précieuse à la création de nouveaux supports pédagogiques. Pourtant tous ne sont pas des Ressources Éducatives Libres...
Tenir le rythme par le partage des supports de cours
Le changement climatique, l’empreinte carbone du numérique, les performances des intelligences artificielles, autant de sujets soumis aux évolutions perpétuelles par les avancées de la recherche scientifique et de l’innovation. Se forger une vision d’ensemble actualisée d’un seul de ces thèmes relève des travaux d’Hercule et de Sisyphe conjoints. Voilà pourquoi, pouvoir profiter des travaux de ses pairs sur des sujets si mouvants constitue un gain de temps considérable. En effet, un cours en ligne signé par un humain présente une garantie de qualité sans commune mesure avec une génération de texte statistique par un agent conversationnel sur un sujet donné.
Signifier la paternité humaine de la connaissance
La mention de l’auteur revêt ici une importance cruciale : un support de cours signé, certes le protège, mais surtout certifie sa paternité. L’identification de la source apporte une méta connaissance désormais indispensable sur l’information, seule à même de la valider. Colin de la Higuera, lauréat du prix des Open Education Global Awards ne dit pas autre chose lorsqu’il parle du nécessaire travail sur les méta-données. Ainsi la récupération de travaux partagés par des pairs permet à chacun d’augmenter la pertinence de ses propres enseignements et par le même geste de se placer dans une filiation humaine.
La licence libre, nécessaire mais pas suffisante pour créer un commun
Deuxièmement, selon mon expérience, un support de cours s’affine grâce à son utilisation. Vue l’ampleur des enjeux et l’urgence de l’avancée de la pensée face à cet outil déstabilisant l’enseignement, mais aussi la démocratie et la lutte contre le dérèglement des équilibres terrestres, il me semble que la mise en commun des expériences d’enseignement des enjeux de l’IA générative devient un impératif. Ce partage d’expérience nécessaire ne se limite pas alors à la simple publication d’un support de cours. Des informations complémentaires, telles que le contexte de l’enseignement, la façon d’utiliser le support, le retour constaté des participants enrichissent les possibilités de récupération et d’adaptation de la séance par d’autres. Et ainsi les possibilités, par la profusion des expériences autour du support, d’approfondir et de nuancer l’utilisation de la Ressource Éducative Libre.
Mon expérience avec des étudiants en sciences de l’éducation
Je partage ici l’expérience d’une interrogation écrite donnée en avril 2025, dans la cadre d’un contrôle continu, intervenant en fin d’une séquence sur des réflexions éthiques sur la technique. La progression a intégré la création de variations autour de la Toile des techs portant spécifiquement sur les enjeux de la numérisation, une séance avec Cartesia, une version en ligne inspirée de la Boîte Noire de l’IA, la lecture de l’article « La grande démission de l’intellect face à l’IA » de Laurent Alexandre, Olivier Babeau et Alexandre Tsicopoulos paru dans Le Figaro le 31 mars 2025 et une réflexion collective autour du témoignage de Stéphane Crozat à propos de son expérience d’enseignant confronté à la triche des étudiants utilisant massivement les agents conversationnels pour leurs travaux dirigés.
Durant cette séquence, nous avons conclu avec les étudiants en sciences de l’éducation, que le meilleur moyen de s’assurer qu’ils n’utilisent pas d’agent conversationnel lors de l’évaluation reste la bonne vieille méthode de la mémorisation du cours puis l’interrogation écrite papier crayon sur table. Ce que je n’avais pas prévu en début de semestre et représente pour moi un effort de correction conséquent par rapport à un quizz en ligne reposant sur des exercices pratiques.

J’ai ainsi construit une épreuve basée sur un apprentissage par cœur des étapes de constitution d’une Intelligence Artificielle Génératives telles que décrite par la Boîte Noire de l’IA, puis d’une étude de documents basée sur la Ressource Éducative Libre « Appréhender les impacts des outils d’IA génératives dans les activités de formation » publiée par Albert CAU de Nantes Université, embarquant lui-même une vidéo sur les IA génératives du réseau Canopé. Enfin, la réflexion finale porte sur la déclinaison des principes éthiques de la Toile des techs appliqués à l’Intelligence Artificielle Générative.

Clairement, ce travail n’aurait pas été possible sans le partage des deux premiers supports.
Des licences Creative Commons incompatibles
Je souhaitais partager à mon tour mon travail afin que d’autres puissent s’en emparer, l’adapter, l’enrichir et le repartager dans les mêmes conditions, mais les licences appliquées aux différents supports ne me le permettent pas. Pourquoi ? Parce que les licences CC By SA de la Boîte Noire de l’IA et la CC By NC SA de la Ressource Éducative Libre « Appréhender les impacts des outils d’IA génératives dans les activités de formation » s’auto neutralisent ! L’attribut Share Alike (SA) force un contributeur qui modifierait un contenu à la repartager avec même licence. Le remix de ces deux supports, s’il reste autorisé, ne permet pas de redistribuer l’œuvre résultante avec la même licence, puisque les deux licence sont différentes ! Conclusion ? L’attribut No Commercial (NC) bloque le remix avec une œuvre qui accepte les usages commerciaux. De là à considérer que la licence CC By NC SA n’est pas une licence libre … C’est en tout cas la position de la communauté de la Forge des communs de l’éducatif numérique qui prône l’utilisation des licences CC By et CC By SA, tolérant seulement les déclinaisons en NC. Pour ma part, je dis à mes étudiants que sous couvert d’un pseudo anticapitalisme, le No Commercial refuse aux personnes souhaitant s’engager sur l’amélioration d’une ressource la possibilité de toucher un revenu de leur travail, soit au pire, cache un modèle économique basé sur la redevance, soumettant l’utilisation commerciale de la ressource à une autorisation tarifée par l’auteur. Procédé à mon avis totalement contraire à l’esprit des Creative Commons, mais rendu légal précisément par cette licence en NC …
Papier, crayon, par cœur, le retour aux fondamentaux ?
Je partage tout de même mon retour d’expérience, après avoir corrigé la pile de copies. Pour la première fois de l’année, je n’ai pas douté de l’origine des textes, ayant la certitude de réellement lire les écrits, donc le prolongement de la pensée des étudiants. Définitivement, dès qu’il ne s’agit pas d’un savoir faire technique tel que le travail sur un tableur, le papier reste la meilleure solution pour tester les étudiants. Puisque toutes les réponses se trouvent sur Internet, pour les évaluations techniques, je teste la rapidité d’exécution avec des quiz à durée limitée. Difficile de réussir sans entraînement préalable. La difficulté réside ici dans le bon calibrage du niveau attendu sur l’exercice et du temps nécessaire pour le réaliser.

Mais que manque-t-il pour construire un monde meilleur ?
Techniquement, la licence libre CC By SA est suffisamment robuste et bien pensée pour diffuser un travail signé sans se le faire accaparer. Par exemple, si ma démarche vous a intéressée, j’imagine que vous êtes allés consulter les contenus auxquels je me réfère, ce qui leur donne de la valeur. Le jour où je publierai des modifications de la Boîte Noire de l’IA, les auteurs initiaux pourront les intégrer à leur propre outil, et je ne leur aurai pas « piqué des clients » au passage. Mais une ressource sous licence libre ne suffit pas pour constituer un commun. Une communauté le conditionne. Alors, comment créer une communauté gérant une ressource libre ? Ne pourrait-on pas s’inspirer du fonctionnement de Wikipédia, la plus grande réussite du web, basé sur la co-construction et la gouvernance partagée ? Voilà le projet de la constellation des toiles, qui appelle à la libération des outils pédagogiques et à leur buissonnement ! Un Wikipédia des dispositifs de sensibilisation aux enjeux de la technique et à la défense du vivant, on s’y met ?